Condamnation à mort au bout du monde… pour 2.000 euros

Faut-il vraiment se préoccuper du sort d’un quasi-anonyme (jusqu’à une époque récente), fut-il citoyen français, par ailleurs détenu de droit commun en Indonésie et promis à une exécution imminente, alors qu’au même moment, la vie d’autres Français est menacée dans d’autres endroits du monde suite à des prises d’otages, que des citoyens ordinaires, ici même en France, tombent sous les balles de terroristes, et que des migrants en quête de terres plus accueillantes que leurs pays d’origine, à feu et à sang, se noient en masse en Méditerranée au large de nos côtes ? Serge Areski Atlaoui, né en 1965, n’a pas forcément le sens du bon timing… Les esprits chagrins (apparemment très nombreux sur Internet…) ne se privent d’ailleurs pas de remarquer que l’homme porte une responsabilité non négligeable dans son propre malheur. Et pourtant…

Atlaoui-Indonesie-m

Le propos ici n’est pas de reprendre l’intégralité du dossier Atlaoui ni de refaire son procès, d’autant que les faits tels que relatés dans la presse demeurent imprécis. Pour résumer, le nom de Serge Atlaoui, un Français dont la famille (d’origine algérienne) est établie en Lorraine près de Metz et qui vivait lui-même aux Pays-Bas avant de partir en Indonésie pour honorer des contrats de travail temporaire, est apparu dans la presse française en 2007. Soit près de deux ans après son arrestation en novembre 2005 près de la capitale indonésienne Jakarta, dans un laboratoire clandestin de production d’ecstasy. Condamné en première instance, en novembre 2006, à la prison à perpétuité pour activités liées au trafic de drogue, il venait de voir sa sentence transformée en condamnation à mort.

Spécialiste de la soudure et de la fonderie, Serge Atlaoui avait été recruté sur un chantier aux Pays-Bas pour travailler à l’installation de machines industrielles – mixeurs, pompes, distillateurs… – destinées selon lui à la « production d’acrylique » (plus probablement d’acide acrylique, un intermédiaire utilisé dans la fabrication de matières plastiques et dans des peintures). Rien de bien surprenant dans un pays de 250 millions d’habitants tel que l’Indonésie, en plein décollage économique. Le salaire proposé était de 2.000 euros pour une semaine de travail. Une fortune pour un Indonésien (plus de 24 millions de roupies à l’époque) mais même pas deux fois le SMIC mensuel pour un Français. Endetté, Serge Atlaoui, habitué à enchaîner les contrats, n’avait pas hésité à foncer dans une aventure qui ne semblait pas présenter de risque. Après tout, pour construire son appareil de production industrielle, l’Indonésie recourt régulièrement à de la main d’oeuvre qualifiée venue d’ailleurs. Et de grandes firmes occidentales (françaises notamment) sont également implantées dans l’archipel. Mais Serge Atlaoui a mis le doigt dans un piège fatal, et ne le comprend que lorsqu’il est déjà trop tard.

À cette heure, sa situation personnelle est plus que compromise. En effet, le dernier recours juridique dont il disposait pour espérer une révision de son procès a été rejeté par la Cour suprême de l’Indonésie, tandis que la grâce présidentielle lui a été refusée par avance… De fait, la relative discrétion médiatique du cas Atlaoui, depuis des années, s’expliquait en partie par le moratoire de fait sur les exécutions de condamnés à mort en Indonésie. Ses défenseurs avaient privilégié une tentative de règlement par la voie diplomatique, souhaitant éviter le risque de braquer les autorités de Jakarta. Or depuis l’automne 2014 et l’accession à la présidence du pays de Joko Widodo, ce dernier s’est montré intransigeant en matière de condamnations à mort pour drogue, en particulier pour des raisons de politique intérieure. Le 18 janvier 2015, six condamnés (dont cinq étrangers) ont ainsi été fusillés à la prison de haute sécurité de Nusa Kambangan, sur le littoral méridional de l’île de Java (cf. carte).

Nusa Kambangan

Selon toute évidence, Serge Atlaoui n’a pas le profil d’un trafiquant de drogue et le plus vraisemblable est qu’il a été trahi dans sa bonne foi. Déjà répréhensible dans l’absolu d’un point de vue moral et d’une efficacité douteuse en matière de prévention des crimes, la peine de mort est ici totalement disproportionnée, et bien sûr injuste pour ce cas précis. Bien qu’en France même, les nostalgiques du temps de la guillotine n’hésitent pas à se manifester plus ou moins bruyamment de temps à autres, cette douloureuse affaire pourrait malgré tout également porter atteinte à l’image de l’Indonésie. Cela aussi serait regrettable car ce pays d’Asie du Sud-Est ne manque pas de charmes  – l’île de Bali, entre autres sites touristiques, jouit d’une renommée mondiale. Et quoi que l’on puisse en penser, même si elle a jadis connu des jours plus sombres, l’Indonésie n’est pas régie par une dictature sanguinaire. Ses dirigeants successifs depuis la chute de l’ex-dictateur Soeharto ont été élus démocratiquement. Premier pays musulman au monde par le nombre de fidèles, l’archipel est également connu pour sa modération religieuse, à l’opposé des fanatismes qui ensanglantent d’autres régions du globe. Dans l’intérêt de tous, la clémence doit s’imposer.